En arrivant à Tréguier, il faut bien dire que la vue de l’estuaire du Jaudy et ses rives boisées emporte nettement plus l’adhésion que la devanture de l’hôtel restaurant Aigue Marine. Cet édifice pourtant construit au début des années 90 semble afficher au compteur du ressenti une bonne décennie de plus.
Aigue marine porte pourtant bien son nom car telle une pierre précieuse ce n’est qu’une fois polie et travaillée que la matière rayonne et que la valeur se révèle. Il ne faut donc pas ici se fier à l’aspect brut extérieur sans valeur de l’établissement; ni même à la décoration intérieure quelque peu atone de laquelle nous ne retiendrons que les lustres aux évocations marines mais bien aller la chercher là où elle est est, là où le travail de l’homme sublime la matière. La préciosité d’Aigue Marine existe donc bien en la personne de Stanislas Laisney,chef du restaurant eponyme.
Stanislas le méconnu
Lorsque l’on évoque les étoilés bretons (et dieu sait que la liste est longue) le nom de Stanislas Laisney ne fait pas partie des évidences qui sautent à l’esprit. Il faut dire que la catégorie des chefs « une étoile » en Bretagne est déjà richement dotée de futurs poids lourds ou de confrères sachant, plus que d’autres, capter la lumière des médias. S’y faire un nom à titre de noblesse équivalent n’est donc pas toujours chose aisée, rajouter à cela que l’homme cultive une certaine discrétion et surtout que par rapport à d’autres qui affichent des CV de compét (ayant pour certains déjà enchainés une demie-douzaine d »établissements prestigieux inscrivant ainsi leurs noms dans le maillage complexe de la haute gastronomie) Stanislas Laisney ne peut répondre que par le mérite de la promotion interne. En effet, son histoire est intimement liée à celle du restaurant Aigue Marine. Passé par tous les postes de cette maison, il arrive 10 ans plus tard au rang de chef et réussit le tour de force de maintenir l’étoile avec une cuisine assez personnelle. En effet, Mr Laisney propose une cuisine qui s’appuie sur une technique solide et sur quelques marottes au premier rang desquelles l’alliance terre-mer qui accompagnera les débuts de ce repas comme une métaphore filée avant de venir conclure la partie salée et terminer en fanfare sur une partition sucrée impressionnante. Bouclant ainsi la boucle commencée par un américano taillé façon skyscraper tout en vertige.
More than meets the eyes
Tout débute par un tryptique marin joliment composé qui met en avant la proximité des influences de la pêche. Oursin, saint jacques, maquereau, salicorne sont ainsi convoqués pour une rafale de mises en bouche de très belles tenues venant s’ancrer dans un terroir breton plus large au travers des alliances avec la tomme de Bretagne et les oignons rosés. Travail soigné et délicat qui ne sera mis à mal que par un probèéme d’équilibre sur l’alliance st jacques, aneth, condiment yuzu où le dosage excessif de l’aneth fait malheureusement passer la fraicheur lacteé de la saint-jacques au second plan.
L’alliance terre/mer sera le moteur de ce début de repas à travers un dyptique d’entrée: langoustine-joue de boeuf et saint Jacques-épaule d’agneau. Le chef démontre dès le départ sa solide technique pour les cuissons et son sens maitrisé de la composition des plats. On appécie le choix peu commun du traitement de la langoustine comme un homard à savoir une cuisson en carapace pour après être fendue en deux. La cuisson est irréprochable et l’alliance pertinente avec les notes alliacées des oignons nouveaux démontre déjà un savoir-faire solide mais le plat prend vraiment tout son sens quand on intégre l’ensemble des élements dans la composition. La joue de boeuf moelleuse se fond dans les notes gourmandes et rondes de la bisque de homard et toutes les pièces du puzzle prennent place pour former un écrin douillet pour la finesse nacrée de la chair de langoustine. D’entrée de jeu, Stanislas Laisney démontre que les mécanismes de composition de plat et d’agencement des gouts n’ont pas de secretspour lui.
Les saint-jacques snackées et épaule d’agneau qui prennent directement le relais seront à ce menu ce que l’épisode VII de Star Wars est à la saga, un remake à peine caché du premier épisode. En effet l’impression de revivre les mêmes mecanismes et les mëmes enjeux du premier plat se font vraiment ressentir sur le travail: St Jacques, épaule agneau confite, ail noir, vinaigrette d’orange. Une matière première nacrée à la cuisson peu poussée ( donc impeccable) qui permet de développer des goûts presque lactiques, une viande cuite longuement permettant ainsi de souligner l’élément principal sans apporter de mâche qui parasiterait la lecture du plat accompagné d’un lieutenant qui ancre un peu plus le plat dans le coté terrien ici l’ail noir, sur la langoustine: les oignons nouveaux. Seul variable d’ajustement une légère tonalité sucrée apportait par les segments d’orange et la vinaigrette idoine. Une fois encore, le plat est réussi, puisque assis sur les mêmes mecaniques que le premier, on apprécie l’usage de l’ail noir qui fait la passerelle entre l’univers sucré et terrien mais pris en flagrant délit de reproduction de schémas, le plat perd malgré tout en intérêt même si il demeure réussi en soi.
Arrive un des grands moments du repas en la personne de l’escalope de foie gras poelé, céleri et coques. Un plat à la gourmandise exacerbée qui passe par une cuisson (une fois encore) parfaite et un équilibre tendu entre la rondeur du foie gras et l’iode des coques. Un iode traité de façon multiple entre l’émulsion de jus de coques, les coques crues et enfin un sous-texte discret que l’on trouve dans la cuisson des tronçons de céleri (cuits dans le lait et le jus de coques) cette dernière opération permet d’adoucir le feu du céleri, son côté terreux prédominant. Tout ceci aboutit à un équilibre parfait, un plat fort mais raffiné, puissant mais adouci, les chips de laitue marine apporte un coté crunchy très plaisant et une texture nécésssaire au plat. Une très belle performance qui montre que Mr Laisney peut hausser son niveau de cuisine nettement.
Le parent pauvre de ce menu sera incontestablement le homard-brocolis, même si l’on fait fit du dressage assez daté, difficile de donner du crédit à une sauce homardine sans grand éclat ainsi qu’à une surcuisson du homard ! Il demeure un pied de brocolis braisé assez fondant qui vient trouver de la fraicheur avec un rapé de sommité à crue et des fines lamelles de granny smith mais ceci est clairement insuffisant. Un homard qui aurait mieux fait de rester dans son vivier.
On terminera la partie salée avec un saint-pierre et chou-fleur qui aura le mérite de l’accord intéressant entre le chou-fleur rôti et le spéculoos, la bonne idée étant d’osciller entre la fraicheur du chou-fleur cru et cuit mais une mauvaise application d’une bonne idée donne un résultat bancal avec un chou-fleur cru en faible représentation par rapport au chou-fleur rôti ce qui induit un manque de fraicheur sur le plat. La nécessité de colorer la sauce beurre blanc à l’encre de seiche reste également à demontrer. Un plat au sous-texte intéressant mais dont l’éxécution est à revoir. Enfin comme pour boucler la boucle nous terminerons définitivement avec la dernière partie de la trilogie terre-mer-alliacés: filet de boeuf-maquereau-oignons. Mais cette fois-ci, c’est l’inversion des codes puisque l’élément principal devient la viande, comme pour les autres itérations du sujet Stanislas Laisney accouche ici d’un très joli plat, la cuisson du filet de boeuf est parfaite le lieutenant qui accompagne l’élément carné dans le côté terrien est ici un mille-feuille de pommes de terre lui aussi parfaitement traité. Comme une valse à deux temps, le va-et-vient entre la fraicheur du maquereau juste marqué à la flamme et le boeuf accompagné de son superbe jus de viande fonctionne à plein et si l’accord a déjà été vu ici et là son execution est irreprochable&
Sugar Blast
La partie sucrée de ce repas fut une démonstration technique et gustative de haute volée qui disons le honnêtement nous a vraiment surpris pour un tel établissement.
Le dessert « Tout lait » impressionne par la rigueur mise en place et l’équilibre des goûts. Le dessert repose sur une déclinaison de textures et l’utilisation de différents types de lait ( soja, chèvre, ribbot, confiture de lait) Du glacé au fondant, du cassant au confit; on oscille entre l’aigre, l’acide et le sucré pour un résultat disons-le quand même très « le Squerien » bien que renseignement pris,la maison ne s’en serait pas inspiré. Ce dessert total lait fait totalement mouche venant allègrement jouer dans la cour des desserts de maisons deux étoiles. Extrêmement léger, régressif tout en n’oubliant pas d’être gourmand, ce très grand dessert aura été un des coups de coeur sucré de l’année 2018.
Pour conclure,cette partition sucrée, le chef a décidé d’exploiter les ressources qui se trouvent juste de l’autre coté de la rue, l’alliance des agrumes et des algues dans un dessert marin qui fait écho au travail sur l’estran mené chez Christopher Coutanceau. On retrouve ici aussi un travail axé sur l’équilibre entre amertume/acidité et sucrosité, la legerté de l’opaline donne au dessert une evanescence parfaite pour conclure un grand menu. Le dosage de la glace à la laitue de mer est tout bonnement parfait, l’ensemble fonctionne à plein. Le choix du kalamansi est judiceux par sa capacité à être à la fois sucré comme le citron jaune et acide comme le citron vert ce dernier se prête parfaitement à l’exercice. Le dessert là aussi enchaine les texture entre cassant, gelée, glacée et mousseux, ce dessert joue la carte à fond et enfonce le clou, posant Aigue Marine comme une table référence dans le registre sucré en Bretagne.
Et ce n’est pas les mignardises toutes tournées vers le légume (betteraves, fenouil, carottes) qui nous feront changer d’avis. En osant terminee le repas sur des notes légumières sucrées; Stanislas Lainsey a décidement tout compris, soignant son originalité l’homme occupe un espace que personne n’utilise créant ainsi une singularité qui fait automatiquement son charme surtout quand la maitrise technique suit le propos.
Avec de tels arguments majeurs à son actif, espérons que Stanislas Laisney prenne à l’avenir un peu plus de place dans l’espace médiatique des chefs étoilés bretons et que cette critique permette de faire découvrir la cuisine de celui qu’on oublie ( à tord nous l’avons désormais démontré) trop souvent. car si l’aigue marine n’est qu’une pierre semi précieuse la cuisine de Mr Laisney est elle précieuse à plus d’un titre.
Aigue Marine
• 5 Rue Marcellin Berthelot, 22220 Tréguier
• Ouvert du mardi midi au samedi soir
Verdict :
Cuisine maitrisée