Si vous aimez les histoires de tables introuvables même avec GPS que même les locaux ne savent pas trop où cela se trouve et quand ils croient savoir vous vous retrouvez dans les vignes, génial, pour à la fin vous demandez si vraiment vous êtes bien au bon endroit. Alors bienvenue au 14 Février à Saint-Amour-Bellevue.
Et malheur à celui qui n’a pas fait attention qu’il existe Saint Amour et Saint Amour Bellevue (encore une idée de génie ca) les deux séparés de « seulement » 45 min détail qui parait insignifiant quand il est vu depuis 800 km de distance mais qui devient crucial quand on se rend compte que ces quelques 80 kms d’écarts risque d’être fatal à 15 min de l’heure de la résérvation.
Si vous vous demandez mais comment le michelin a réussi à trouver son chemin dans ses routes pentues à fleur de vignes sur les premières hauteurs du beaujolais (magnifiques soit dit en passant) mais oû deux voitures ne peuvent se croiser qu’avec l’intervention d’un expert des ponts et chaussée sur place et une délégation du train de l’armée de terre pour éviter la future chute d’une des caisses.
Alors cette critique est pour vous.
Enclave japonaise
Le profil du chef japonais qui apporte une sensibilité et une technique au sein de la brigade d’un grand restaurant français, ça on connait bien. Mais quand vous passez les portes du 14 février à St-Amour-Bellevue c’est l’intégralité du staff qui se trouve être japonais, et là tout de suite c’est moins commun. De la maîtresse de maison, au sommelier en passant par la brigade nous aurons été totalement pris en charge par une équipe de personnes qui passèrent les premières décennies de leur vie sur l’archipel nippon.
Le repas fut donc soutenu par un sentiment de dépaysement notamment au travers des accents et ce même pour ceux qui parle parfaitement le français, rajouté à cela une décoration contemporaine minimaliste baignée de bois et jouant sur les teintes noir/rouge et beige, la présence de banzaies parfaitement entretenus ici et là et vous obtiendrez cette impression unique et rare qui tranche avec l’image devenue classique du seul chef japonais perdu au sein d’une brigade 100% francaise.
Et permettons nous de revenir sur le sommelier Yusuke Ishizuka aka Porco au sein de l’équipe, qui par ses choix extrêmement pertinents ce soir là ainsi que son accent inimitable aura tout autant participé à lui seul à ce dépaysement intense que l’ensemble du repas. Nous vous invitons à partir à sa rencontre.
Mon art est couleur
Si il est une chose certaine c’est que la cuisine de Masafumi Hamano ne peut laisser insensible, l’homme aime l’art et il distille son amour du graphisme et du dessin par une multitude de détails au sein du restaurant. On le retrouve notamment dans les menus dont l’illustration originale change à chaque saison ou bien dans l’assiette à pain .
En conséquence logique, il tente d’insuffler cet amour de l’art à sa cuisine pour en faire un creuset empli de couleurs.
Tous les plats qui auront été servis ce soir là baignaient dans le rose, le jaune, le vert… pas une mise en bouche qui ne soit pas colorée et aussi le plus souvent possible ludique; comme ces chips de crevettes sur fond de toile à peindre avec là encore ces petites pinces à linge colorées ou ces macarons au citron-parmesan et thé vert-rillette d’oie
Mais aussi avec ce pré dessert biscuit noisette, bavarois vanille et glace yuzu servi avec une mini pelle remplaçant le temps d’un moment la cuillère et qui nous invitait à creuser dans le faux sable en noisette pour découvrir ce qui se cachait en dessous.
La couleur s’invite et la table devient vite une exposition éphemère des tableaux du talentueux artiste Masafumi Hamano grimé pour le spectacle d’un soir en chef artiste ou artiste chef. Que dire de ce foie gras exquis en coque de vin rouge accompagné de son émulsion coco et de sa sauce passion qui rafle la mise au travers de cette association toute aigre douce qu’accompagne à merveille des asperges blanches traitées en pickles.
La minutie du traitement des aliments à la japonaise se prête particulièrement bien à cet exercice de composition graphique comme on peut le voir avec les gaufres fumées sous verre accompagnant l’ormeaux rôti en bouillon de volaille gélifié , petit pois caviar et oeufs de poisson volant. Condensée dans 4 cm2,la composition est digne d’une maison de poupée avec pourtant une clareté du propos et de la mise en scène vraiment folle, le résultat est un plat gourmand naviguant entre les notes presque carnées de l’ormeau et du bouillon dense mais délicat et la fraicheur presque sucrée des jeunes petits pois, le tout ponctué par l’iode du caviar et le pétillant des oeufs de poisson volant.
De la minutie, vous en trouverez dans absolument tous les plats, ils sont tels des « où est charlie? » ils demandent à être scruté sous tous les angles pour y trouver le détail infime que vous y avez manqué, tels pistils de fleurs ici, tels feuille sauvage ou grains par là, les assiettes sont pour le coup presque faites pour être vues à travers une loupe comme on passerait du temps devant un tableau ( la boucle est bouclée)à la recherche de quelques détails perdus dans les seconds plans.
Et si tout ce qui relève du cadrage, de la scénographie ou tout simplement de la beauté primaire d’un plat ne souffre d’aucun défaut ; notre artiste d’un soir devra pour le coup répondre de quelques incompréhensions mineures et majeures quand il est question d’harmonie de goûts ou plus durement de cuisson.
Crash Test Pinceau
Car tout artiste qu’il soit ( et nous voulons bien lui reconnaitre cette dimension) un chef n’en reste pas moins un cuisinier.
Et certaines propositions auront au moins eu le mérite de soulever le débat à la table ce soir là.
Si la ludicité des faux canelés chorizo-grenades fonctionne toujours auprès des non initiés grâce à leurs pipettes tout droit sorties des années 2000 l’association de goût reste pour le moins particulière voir bancale tant le chorizo éclipse totalement la veine touche fruitée de la grenade. Rouge sur rouge rien ne bouge.
L’encornet « découpé au laser » a bien eu du mal à trouver de l’espace pour exprimer sa netteté et le travail nécessaire à une telle minutie de découpe tellement ce dernier était accompagné d’une armée de saveurs pour le coup plus disparate qu’unie. Le fenouil mariné, l’aneth, le taboulé de crabe et la sauce oignon blanc et rose flanqués d’une confiture auront tant fait d’éclater toute simili cohèrence du plat au profit d’une vaine zizanie.
La où plus rien ne va c’est dans le plat de cochon, purée de pomme de terre douce, piperade revisitée, morilles, sauce aux morilles, jeune pousse de palmiers et mandarine ( bon je pense que tout le panier du marché y est passer cette fois ci).
Par delà une composition gustative qui nous aura laissé dans une incompréhesion la plus absolue le pire était à venir avec une cuisson du cochon bien en dessous du stade « borderline ».
Un parti pris tellement osé qu’il en devient grave.
Il est vrai que dans cet espace tenu autour de la ligne rouge se trouve certaines des plus belles réalisations que nous ayons vu, que ce soit en terme de composition ou de cuisson. Nous pensons notamment ici à un bar en cuisson de varech chez Olivier Bellin qui a redéfini pour nous la notion de cuisson parfaite pour ce poisson alors que visuellement le poisson semblait clairement pas cuit.
Mais tout le monde n’arrive pas à extraire de ce mince espace des réalisations à couper le souffle et le plus souvent l’abime recrache un ratage complet. Pour nous il ne fait aucun doute que ce cochon n’était pas assez cuit, mais vraiment pas cuit. Entre incompréhension de la note d’intention globale de l’assiette (à travers une composition criptique) et une cuisson qui fait encore froid dans le dos ce plat restera dans nos mémoires comme ce qu’il ne faut pas faire.
Pourtant le homard sauce mousseuse accompagné de purée de pommes de terre aux algues, chantilly de cidre et terrine de pomme hibiscus, condiment curry (oui c’est encore pas mal chargé mais on commence à s’y faire) fut une réalisation parfaite, gourmande donnant une tonalité aigrelette et rafraîchissante mais en conservant également un côté épicé/fruité sublime. Un très grand plat à n’en pas douter.
Le repas se terminera sur un dessert qui est la signature du chef et qui effectivement condense tout ce que l’on vient d’énumérer ( de bien): la sphère destructive aux fruits et fleurs.
L’homme est tellement doué que lorsqu’il fait fondre le dessus de sa sphère en chocolat rose avec son bouillon aux fleurs de cerisier les saillies qui n’ont pas fondues sont à peu près toutes égales, vous vous en rendrez compte en regardant bien la photo, cela relève du génie.
Au même titre que l’intérieur de la sphère qui se révèle à la vue n’est en rien entachée par le chocolat qui vient de fondre, ni immergée sous le bouillon chaud, résultat vous découvrez des fleurs quasi intactes comme si elles avaient poussé à l’intérieur et une glace qui n’a pas perdu un iota de sa consistance et de sa forme de quenelle.
le plat est gourmand,croquant (mais on me dit que ce qualificatif est devenu une marque deposée) subtil et gourmand, technique à en crever et l’incursion finale des notes florales ainsi que du bouillon de fleur de sakura est une admirable porte de sortie pour clôturer cette parenthèse japonaise enchantée.
Alors si un jour vous êtes par hasard à st amour bellevue ( mais en faite jamais vous ne serez la par hasard on ne me la fait pas) allez pousser la porte de cette demeure comme les autres pour vous faire téléporte au pays des okonomiyaki et autres mets exquis, venez faire le plein de couleurs et de détails comme peut l’être Akihabara en début de soirée ou Kyoto à la floraison des cerisier. Venez rencontrer une cuisine qui se veut un art dans l’art.
Mais l’art encore plus que la cuisine se compose d’une part de sensiblité forte et il n’est pas impossible que l’exposition du soir comporte sa part d’ombre cachée derrière les superbes tableaux de maîtres.
Cela dependra de ce que l’artiste tente de transmettre à ce moment précis.
Au 14 Février
• Le Plâtre-Durand, Saint-Amour-Bellevue, 71570, France
• Ouvert du vendredi midi au lundi soir, fermé le dimanche soir et le lundi midi
Verdict :
Cuisine Brillante