Tel un secret que l’on se transmet entre initiés, l’Ambroisie fait partie de ses tables 3 étoiles qui ne recherchent ni la lumière ni les strass. Bernard Pacaud, sous les arcades de la place des Vosges, déploie tout son talent presque en catimini. Car ici rien n’indique la présence d’une des plus grandes tables de France de prime abord.
Une plaque de marbre sur un mur un pierre, deux petits arbustes pour délimiter l’entrée et basta! Un incognito des plus total à l’instar d’un Massimo Bottura dans sa ville de Modène. Ici aucun signe ostentatoire de réussite ou de gloire.Presque cachée, cette maison qui ne fait de bruits que pour qui sait tendre l’oreille,(le gastronome averti, celui qui y a été initié) est pourtant l’antichambre du paradis gastronomique.
Passé les portes, vous pénétrez dans le monde de la quasi perfection.
Dans cet univers de petits salons feutrés, où tapisseries, moulures et grands miroirs antiques vous tiennent compagnies, Bernard Pacaud et son équipe s’affèrent pour vous faire vivre une expérience gastronomique rare.
« Pas assez cher, mon fils? »
Rare car déjà nous sommes ici dans un des derniers bastions de restaurants qui ne propose pas de menu. Tout ici est à la carte, et la carte des dieux n’est pas taillée aux dimensions humaines. Cette table d’initié s’apprécie au prix fort, très fort, mais l’exclusif n’a pas de prix dit on. Ici il est vrai on ne fait pas dans le faussement riche, les produits sont habillés haute couture et tout le gratin de la noblesse de l’alimentation est de sortie à chaque service, morilles fraîches de France, truffes, caviar, ris de veau, bar. Et quelque part j’apprécie cette cohérence du lieu.
Pour être plus précis c’est surtout le rapport à l’addition qui doit être cohérent. Un repas trois étoiles à plus de 500€ ne peut se légitimer en servant sardines, merlu, céréales et tomate. Il faut à un moment être cohérent quant à la qualité, mais surtout à l’exclusivité du produit et du prix auquel on le vend. Ici certes le coup de massue est biblique (je tairais le montant global) mais au moins l’impression de ne pas avoir été floué sur la noblesse de la matière première ne fait pas l’ombre d’un doute.
Car voila bien un des grands points forts de Bernard Pacaud, cette capacité de sourcer des produits hors normes, un exemple parmi tant d’autres: les st jacques servies en entrée dans un velouté de truffes sont d’un calibre que je n’ai jamais vu nulle part ailleurs. Des escalopes! oui monsieur ni plus ni moins. Mais point d’avant du poste du paradis sans anges gardiens pour vous tenir compagnie.
L’art de recevoir
La brigade de salle menée par un directeur des plus savants et des plus attentionnés aura participé ce midi à transformer une expérience gastronomique rare en vrai moment d’extase. Car au delà d’une érudition sans faille, c’est aussi dans la capacité à complètement incarner la figure de l’aubergiste du nouveau millénaire que ce dernier aura su marquer des points essentiels.
En effet quel plaisir de pouvoir trouver dans un 3 étoiles parisien l’expression traditionnelle du savoir offrir (qui découle du savoir recevoir) surtout quand aucun rond de serviette a votre nom n’est posé sur la table. Dans ces univers hautement élitiste où tout à un prix (souvent indécent il faut bien le dire) on arrive encore à trouver des vraies attentions dénuées de tout intérêt financier, juste pour le plaisir de savoir recevoir un client en grande pompe.
Étalon de mesure.
Le repas alors ? peut être le meilleur de ma vie à ce jour.
Association de produits nobles, de très haute technicité et de goûts percutants. Peu d’effets de manche ici, soyons clair. Des dressages à la fois simples mais sublimes à l’image d’un des plats stars de la maison: escalopine de bar au caviar, devenu une icone de la gastronomie. Une impression se dégage immédiatement de chaque assiette: la netteté, cristalline. Le produit est là, évident trônant dans l’assiette devant vous. Peu intellectualisée, la cuisine de Bernard Pacaud est compréhensible par le plus grand nombre et pourtant elle est guidée par une rigueur céleste.
Mais ce qui est certainement le plus grand point fort de cette maison reste l’association globale des goûts qui compose chaque assiette, les jeux de textures qui définissent l’équilibre global de chaque plat. De ce point de vue l’Ambroise propose une cuisine parfaite je vous le dis sans fard.
Que ce soit au travers du velouté de truffes, st jacques et cresson, où la texture « cruite » des st jacques se fond merveilleusement dans l’opulent velouté mousseux aux truffes. L’ensemble trouve de la vivacité dans le magnifique coulis de cresson qui apporte une puissance de chlorophylle toute maîtrisée et qui vient contrebalancer cette opulence terrienne. Le ris de veau à la grenobloise et asperges, confondant de perfection dans ses association de goûts, un dégradé d’acide et d’amer entre le sabayon aux câpres et le citron et citron caviar qui contrastent avec la rondeur de la noix de ris de veau rôtie entière. Mais le plus grand choc de ce repas viendra d’un dessert.
Et dieu créa les desserts de l’Ambroisie….
Parfait lui aussi, il est surtout bien plus que cela. Il est ni plus ni moins la meilleure chose que je n’ai jamais mangé. Blanc manger citron et melba de fraises sur lequel il m’est difficile de poser des mots. Dire que c’est un plat émotionnel serait ne pas lui rendre justice tant la rencontre fut quasi christique.
Il était orgasmique, dans le sens qu’il m était impossible de contrôler les réactions physiques que produisait mon corps Un extase au sens littéral. Pour une compréhension plus évidente et au plus proche de la réalité je vous renvoie à la scène du gâteau au chocolat de Matrix Reloaded, qui illustre à merveille ce qui a pu m’arriver au point que le dessert suivant pourtant celui phare de la maison à savoir la tarte au chocolat tiède, qui est effectivement certainement la meilleure du monde n’aura pas su me faire redescendre du tutoiement des dieux auquel j’étais arrivé.
Pinaillage Inc.
Impossible de trouver des défauts donc devant une telle expérience me direz vous, c’est effectivement très dur, néanmoins on relèvera une cuisson du bar juste mais pas extraordinaire, et un pré dessert qui, si il fait bien son office de transition fraîche, ne nous aura pas laissé en pâmoison comme le reste du repas. Et c’est tout. Devant tant de quasi perfection, il faut donc bien se rendre à l’évidence, L’Ambroisie de Bernard Pacaud a bien quelque chose de quasi divin. Il est un de ses lieux fondateurs pour tout gastronome, un lieu de pèlerinage où l’on vient confronter ses certitudes et ses connaissances sur ce qu’est le bien manger.
Un lieu qui infuse en vous vos futurs standards de comparaison ou de notation, car il ne faut pas en douter certaines des choses que vous mangerez ici seront dans leurs catégories (à priori) les meilleurs plats de votre vie jusqu’à preuve du contraire. L’Ambroisie, nourriture des dieux n’aura jamais aussi bien porté son nom. Mais c’est bien à nous humains privilégiés qu’elle prodigue une part d’immortalité. Et comme toute chose hors d’atteinte et que l’on réussit à toucher du bout des doigts le temps d’un bref instant, la seule volonté qui nous anime est de pouvoir un jour, le plus tôt et le plus vite possible, renouveler l’impossible.
Pour ma part l’horloge ne cesse de tourner depuis ce jour.
L’Ambroisie
• 9 Place des Vosges, 75004 Paris
• Ouvert du mardi au samedi soir
Verdict :
Cuisine de classe internationale