Here comes a new challenger
Ces dernières années, le guide rouge avait semble t-il décidé de bouder la ville de Lorient. En effet, depuis que les tauliers de haute gastronomie ( Jean Paul Abadie et Philippe Le Lay, respectivement 2 et 1 étoiles) ont raccrochés les gants et malgré que leurs successeurs aient objectivement et légitimement prouvé qu’ils avaient le niveau pour récupérer tout ou partie des saintes distinctions. Le Michelin donc, avait décidé qu’aucune étoile n’ornerait les tables lorientaises.
Mais retournement de situation, c’est à quelques mètres de la ligne d’arrivée, en piquant un sprint final qu’un nouveau « gastronomic hero » émerge en la personne de Nicolas Le Tirrand aux commandes du restaurant Sources, devenant le nouveau et seul étoilé de la ville.
Situé face au Port de plaisance de Lorient, c’est sur le quai des indes que se cache le dernier né des étoilés lorientais.
En coin de rue, une devanture bleue sombre et une petite terrasse dévoilent donc la dernière petite de la haute gastronomie.
La table des frères Le Tirrand se veut esthéthiquement dans l’épure; et effectivement on constate une petite salle ramassée dominée par les tons gris/bleus au sein de laquelle le bois se taille la part du lion: écorces majesteueuses aux murs, parquets en noyer et tables aux coloris bois.
Nicolas le Tirrand a voulu sa cuisine ouverte sur la salle et force est de reconnaitre qu’au-delà du spectacle purement visuel de voir les mécanismes en mouvement du travail en cuisine, aucune pollution sonore ne s’échappe de cet espace. Les cuisiniers, taiseux, officient ici façon brigade norvégienne en mode ASMR et au vu de la petite taille de la salle c’etait un objectif nécessaire à atteindre pour le bien-être des clients.
the wow effect is in another castle
En effet, très vite le postulat tombe. Ce n’est pas dans le décorum de salle, quasi inexistant, ni dans le livre de cave (pas suffisamment étoffé), ni enfin dans la qualité de service en salle, bonne ici comme ailleurs, que le michelin a pu trouver les codes et référentiels intrinsèques aux tables qui selon lui méritaient l’obtention de la 1ère étoile.
C’est donc forcément qu’ici l’assiette doit être percutante, vive, pertinente, éblouissante. Et pour le coup cela tombe plutôt bien car l’assiette a toujours été la marotte du Michelin, qui a toujours martelé à qui veut l’entendre que seule cette dernière faisait office de juge de paix dans l’obtention des disctinctions.
En effet, ne nous y trompons pas les critères d’attribution et les attentes en termes de qualité et de construction gustatives pour obtenir l’étoile en 2022 ne sont plus les mêmes qu’en 2000. Le monde et la cuisine évoluent et le michelin accompagne ces changements. Un étoilé de 2022 doit donc être peu ou prou à la pointe de tout ce que l’époque porte en matière d’excellence culinaire.
Et l’histoire commence plus que bien car les mises en bouches aux tonalités marines font plus que le job avec en point d’orgue la tartelette caviar d’aubergine/ail noir/gel de laitue marine et oxalys jouant la partition des textures souples, tout en délicatesse végetale et aux accents marins.
C’est donc avec de grandes espérances, et des paillettes dans les yeux que nous attendions la vérité culinaire de Nicolas Le Tirrand, digne du niveau: « une étoile 2022 » selon le Guide rouge.
Bac sans mention
En préambule, un point de contexte: une fois n’est pas coutume, nous avons décidé de tester ce restaurant sur sa proposition du midi, en 3 plats; ce qui est à l’opposé de notre démarche historique qui consiste à préférer les grands menus dégustations.
Privilégier la multiplicité des propositions permet à la fois de lisser la potentielle faute ou erreur sur un plat, permet au chef de s’exprimer plus longuement au travers de 6/7/10… plats qu’à travers 3, bref de rentrer à la fois plus dans le détail et dans la profondeur pour atteindre la « vérité culinaire » d’un lieu/d’un chef.
Pour autant il est coutumement admis qu’un restaurant doit briller avant tout dans sa petite proposition du midi, véritable porte d’entrée, teaser ayant pour vocation de séduire les clients vers de futurs repas plus longs, plus chers dans l’univers culinaire de l’établissement. Dans tous les cas, il faut être brillant dans toutes les configurations. Il faut donc crever vite l’abcès. Avons-nous trouvé ce midi chez Sources de Nicolas Le Tirrand une prestation digne d’un récent étoilé? La réponse est simple: non.
L’ensemble du repas fut loin d’être déplaisant. Nous avons bien mangé, mais tout ceci est juste un prérequis immuable, un minimum syndical, une obligation contractuelle à tout repas dans un étoilé. Pour autant bien manger suffit-il pour faire d’un restaurant un haut lieu de la gastronomie? peut-on être un restaurant étoilé en 2022 sans déclencher aucune émotion culinaire? Oui si l’on se fie au guide rouge, non selon nos critères.
La tomate fumée cuite doucement, vinaigrette à la tagète, glace green zebra et gelée d’eau de tomate fut pourtant une belle entrée. La tomate mondée apporte une belle concentration de goûts.On apprécie aussi la brunoise de pulpe dans la vinaigrette de tagéte qui contribue à structurer le plat et si la glace tomate et sa gelée d’eau de tomate fait le beau contrepoint en partant dans la sucrosité et la floralité, on reste dubitatif sur la peau de tomate brulée qui coiffe le plat, n’apportant ni texture ni goût intéressant et venant même desservir l’ensemble de la proposition.
Le plat principal, un cabillaud basse température, comme on en a déjà vu des centaines, allié ici à une sauce profonde presque animale au foie de rouget, rappellant le lièvre à la royale, accompagné d’un baby fenouil cuit dans son jus d’extraction.
Le couple fenouil/cassis contrebalance parfaitement l’animalité de la sauce grâce à l’alliance subtile de l’amer et de l’acide, alliance rendue possible au travers de la fine sucrosité du cassis qui permet de lier l’ensemble végétal en un tout cohérent, opportun et nécessaire pour équilibrer le plat.
Le « squelette principal » de la construction gastronomimque fonctionne mais ici encore un détail brise l’appréciation du plat: les écailles de rouget soufflées sonnent comme une errance technique. Car, si l’idée est bonne au demeurant( jouer sur la verticalité du rouget), on est quand même très loin de sources d’inspiration telles que le bar / écailles soufflées de Kei Kobayashi. La technique imparable de l’un permet de transformer les écailles en un crunchy presque évanescent tel une pâte à tempura aérienne, ici les écailles restent dures, croquantes voir beaucoup trop croquantes donnant l’impression de croquer dans des carapaces de crevettes.
En parallèle du repas, un beurre servi trop froid et un pain de campagne à la croute parfois mollasonne parfois bien croustillante, en fonction de la tranche, l’ensemble est sans grande valeur ajoutée pour un tel etablissement.
Le choix du kiwi pour le dessert est un choix audacieux tant ce dernier fait partie des mal aimés de la gastronomie. Ici le sujet est bien traité avec une glace kiwi qui pour le coup est un des rares morceaux de bravoure du repas tant sa densité gustative et son équilibrage dans le dosage du sucre est à saluer. La verticalité du traitement du kiwi fait aussi plaisir à voir, en fruit frais acidulé, en fruit séché et tuile « colle au dents ».
Un dessert à l’image de l’ensemble du repas, agréable mais oubliable, bon mais pas retentissant.
La derniére touche sucrée cristallisera l’expérience dans ce restaurant étoilé. C’est au travers d’un cookie que tout se finira, régressif et gourmand mais cela reste un cookie !
Les frères Le Tirrand possédent un bel établissement. Vous y mangerez bien assurément mais si vous cherchez une expérience gastronomique de haut vol nous vous invitons à chercher ailleurs sur Lorient. Il existe quelques tables qui répondront mieux à vos attentes.
Restaurant Sources
• 1 cours de la Bôve, 56100 Lorient
• Ouvert du mardi au Samedi, fermé le dimanche et lundi
Verdict :
Cuisine Plaisante